XVI
DES VAISSEAUX DE GUERRE

Le contre-amiral Thomas Herrick se tenait près des filets sous le vent, le menton profondément enfoncé dans son foulard. Il regardait les marins du Benbow qui halaient sur les bras pour réorienter les vergues et border les huniers arisés.

La moindre chose demandait un temps fou. Il leur avait fallu une journée entière pour progresser un peu et ils y avaient mis tout leur talent. Ils avaient maintenant dépassé la pointe la plus méridionale de la Sardaigne, à cinquante milles par tribord. L’Afrique se trouvait de l’autre bord, à peu près à la même distance.

Roulant sous le vent du Benbow, on apercevait les deux gros navires marchands, le Gouverneur et le Prince Henry. Herrick ne pouvait que se livrer à des conjectures concernant la valeur de leur cargaison.

Il revoyait le visage de Bolitho, dans la grand-chambre de son bâtiment, celui à bord duquel il arborait fièrement sa marque, du temps que Herrick était son capitaine de pavillon. Il ne pouvait oublier l’amertume qui transparaissait dans la voix de Bolitho, cette hargne impitoyable qu’il avait exprimée en vouant aux gémonies la commission réunie par l’amiral.

Une étrange coïncidence avait décidé l’amiral Sir Marcus Laforey à prendre passage à bord du Benbow. Il avait confié son intérim à son chef d’état-major, mais, compte tenu de ce qu’il avalait et buvait, il était peu probable qu’il dût revoir un jour l’île de Malte.

Il entendit Dewar, son capitaine de pavillon, s’affronter sur un problème avec le maître pilote. Herrick soupira. Il allait devoir dissiper le malentendu, car Dewar était un excellent officier, extrêmement consciencieux. Herrick se reprochait la défiance de Dewar. Mais lui-même s’était montré bien mauvais compagnon depuis le jour de la commission d’enquête.

Les embruns lui mouillaient le visage. Il essaya de distinguer quelque chose sur bâbord avant, où, souffrant comme un bâtiment en détresse, sa seule et unique frégate tirait des bords pour essayer de se maintenir au vent. C’était la Philornèle, trente-six canons. S’il n’y avait pas eu ces nouvelles inquiétantes de l’escadre française, elle aurait dû à cette heure bénéficier d’un carénage bien mérité dans le bassin où le Benbow venait de subir le sien.

Les mains dans le dos, Herrick examinait le pont principal qui gîtait fortement. Il pensait à Inch, encore un ami, un membre de leur petit cercle. Était-il mort ? Il ne s’était sans doute pas rendu aux Français.

Il leva les yeux pour observer le ciel, si clair et pourtant si hostile. Le vent allait peut-être tomber demain – toute accalmie serait une vraie bénédiction.

Le capitaine Dewar traversa le pont et lui dit :

— Prendrons-nous la cape ce soir, amiral ?

Herrick hocha négativement la tête. Il sentait le vaisseau partir en glissade sous ses pieds, il devait raidir les jambes pour garder son équilibre. Contrairement à Bolitho, il n’avait jamais aimé faire les cent pas. Il aimait rester bien planté sur ses jambes, il sentait mieux son bâtiment. Et cela l’aidait à réfléchir, voilà longtemps qu’il en avait décidé ainsi.

— Non. Nous n’avons pas encore assez d’eau. Faites dire aux bâtiments de commerce de montrer un fanal, nous pourrons garder cette formation. La Philornèle se débrouillera de son côté.

Dewar estima que le moment était propice, comme un oiseleur tâte le vent avant de tirer.

— A votre avis, le vice-amiral Bolitho aura-t-il retrouvé ce… euh… ce Jobert ?

— Si ce n’est pas le cas, je suis sûr qu’il s’est placé entre l’ennemi et nous.

Il songea soudain aux huit cents milles qui l’attendaient encore avant de trouver refuge sous les canons du Rocher. Fièvre ou pas, cela lui laisserait le temps de souffler et il réussirait peut-être même à obtenir des renforts. Il conclut pourtant :

— Si quelqu’un en est capable, c’est bien notre Dick.

Dewar l’observait, un peu surpris, mais resta silencieux. Ils étaient de nouveau en bons termes, il referait une autre tentative un peu plus tard.

Herrick caressa un instant l’idée de retourner à l’arrière, mais l’idée d’y retrouver Laforey, avec sa goutte et sa fâcheuse habitude de vider verre sur verre sans désemparer, le fit changer d’avis.

La vigie du grand mât cria :

— Du canon ! Dans l’ouest !

Le son avait dû se propager plus vite jusqu’à son perchoir instable, car Herrick était sur le point de répondre lorsqu’il entendit à son tour le grondement lointain et, de manière intermittente, des tirs d’armes légères. Cela lui remit immédiatement les idées en ordre, comme s’il venait de se jeter dans l’eau glacée.

— Aux postes de combat, monsieur Dewar.

Encore une chose qui laissait Herrick pantois : il n’arrivait pas à appeler son capitaine de pavillon par son prénom, alors qu’il y avait tant de domaines où Bolitho lui avait servi de maître et de modèle !

— Signalez au convoi de se rapprocher.

Il poussa un grand juron, les six cents marins et fusiliers du Benbow laissèrent en plan ce qu’ils étaient en train de faire et se précipitèrent pour obéir aux tambours qui battaient le branle-bas.

Fichue lumière et fichu vent ! Tout se liguait contre eux. Combien étaient-ils ? Il dut se contraindre pour afficher une tranquillité qui l’avait quitté depuis que la vigie avait donné l’alerte. Sur quoi tiraient-ils ? Les détonations étaient de plus en plus nourries, loin au-delà des crêtes moutonnantes, mais la vigie ne disait plus rien. Ils étaient encore très largement hors de portée et les explosions sourdes se propageaient jusqu’à eux grâce au vent.

— Signalez à la Philornèle d’aller se renseigner.

Herrick ouvrait et refermait les mains dans son dos. La frégate légère pourrait toujours virer de bord et s’enfuir vent arrière si elle était en danger. Cela l’aurait tellement aidé, s’il avait connu son commandant. À part son patronyme, Saunders, il ne savait rien de lui.

Herrick passa de l’autre bord. Il aperçut le navire marchand le plus proche qui établissait ses perroquets pour se rapprocher de sa conserve. Dieu tout-puissant, on aurait dit de gros animaux bien gras qui attendaient d’aller à l’abattoir, songea-t-il maussade. Il entendait la voix du second qui pressait l’équipage de s’activer. Les hommes savaient parfaitement qu’ils avaient deux amiraux à bord.

Herrick considéra le choix qui s’offrait à lui. Rentrer à Malte ? Même avec le vent en leur faveur, cela représentait tout de même quatre cents milles. En plein jour, les Français ne tarderaient pas à les trouver. Alors, conserver la route actuelle ? Il y avait toujours la probabilité que l’ennemi fût déjà engagé par une force amie inattendue, ou bien qu’ils parvinssent à leur échapper à la faveur de la nuit. Il finit par se décider :

— Monsieur Dewar, nous conserverons le même cap pendant la nuit.

Il avait l’impression de voir sa chère Dulcie. Elle qui était toujours si fière de lui. Il se tourna vers l’ouest, l’horizon se teintait déjà de couleurs plus sombres au coucher du soleil.

Un lieutenant de vaisseau, l’air nerveux, l’un des officiers de l’état-major de Laforey, s’approcha timidement de lui et demanda :

— L’amiral n’a plus un seul endroit où se tenir, amiral, maintenant que le bâtiment est aux postes de combat.

Herrick se retint de réagir vertement. Il y avait trop de monde. Il lui répondit en gardant son calme :

— Je suis vraiment désolé, mais, comme vous pouvez le voir, tout le monde souffre des mêmes inconvénients. Espèce d’imbécile ! murmura-t-il pour lui-même.

Une voix aiguë se fit entendre depuis le croisillon du grand mât. Dewar avait envoyé en haut l’aspirant chargé des signaux avec une lunette :

— Ohé, du pont ! Deux vaisseaux de ligne dans l’ouest, commandant ! Ils portent les couleurs françaises !

Herrick inspecta rapidement le pont qui s’étendait devant lui. Toutes les pièces étaient armées, d’autres silhouettes, dévêtues jusqu’à la ceinture, attendaient, parées à orienter les voiles ou à envoyer de la toile. Les fusiliers étaient là, dans leurs tuniques écarlates et avec leurs baudriers blancs. Le Benbow pouvait et allait donner le meilleur de lui-même, comme il l’avait prouvé à maintes reprises. Et son équipage avait la chance de compter en son sein nombre d’hommes bien entraînés et amarinés. Il était resté trop longtemps loin de l’Angleterre pour avoir pu compter sur la presse ou sur du gibier de cour d’assises. À deux contre un, c’était jouable. Si Dame Fortune avait été moins débonnaire, l’ennemi aurait pu se trouver au contact peu après le crépuscule. Il lui aurait été alors impossible de se battre et de protéger simultanément les navires marchands.

Les mâts de la Philornèle fléchirent sévèrement au moment où elle franchissait le lit du vent, puis les voiles se gonflèrent à la nouvelle amure. Herrick fit la grimace : Bolitho avait toujours adoré les frégates. Pour lui, il préférait avoir sous les pieds quelque chose d’un peu plus stable et de plus puissant. Peut-être ce vague dégoût lui venait-il des premières années qu’il avait vécues sous les ordres d’un commandant tyrannique, avec un équipage au bord de la mutinerie.

L’aspirant les héla une nouvelle fois :

— Un petit bâtiment est engagé contre eux, commandant – sa voix se fit plus aiguë, il n’y croyait pas – un brick, commandant !

Herrick leva les yeux vers la hune. Peu importait qui il était, le commandant du brick essayait de l’alerter. Mais comment savoir ? Il se frotta les yeux en voyant le second aspirant chargé des signaux regarder son camarade qui se trouvait là-haut : il avait l’air d’un joli cœur plus que d’un futur officier. Il ordonna :

— Nous allons changer de cap. Venez au suroît-quart-sud – il attendit qu’on eût hissé le signal à bloc, puis : Mais que fabrique donc le commandant Saunders ?

On entendait des coups de canon sporadiques, la Philornèle prenait le vent et augmentait sa vitesse, filant droit sur l’ennemi.

— Rappelez-moi ce fou ! Je ne vais pas tarder à le convoquer à bord !

L’aspirant finit par laisser retomber sa lunette et annonça :

— La Philornèle ne fait pas l’aperçu, commandant !

— Crédieu, mais ils sont tous aveugles ou quoi ? – il songea à Bolitho, au ton qu’il aurait adopté et en fut tout saisi. Peu importe, monsieur Dewar, changez tout de même de route !

Ce léger changement de cap plaça les deux gros bâtiments marchands en ligne de front sous le vent du Benbow. Cela pourrait au moins leur donner un peu de réconfort lorsque l’ennemi apparaîtrait dans toute sa puissance.

Le lieutenant de vaisseau à l’air si nerveux revenait. Herrick le toisa :

— Eh bien ?

L’officier regardait autour de lui, les servants, les ponts sablés, les fusiliers baïonnettes au canon.

— Sir Marcus vous envoie ses compliments, amiral, et…

Herrick eut soudain une idée.

— Dites à mon garçon de donner à l’amiral une bouteille de mon meilleur porto – et, comme l’officier retournait en courant à l’arrière : Et puis encore une autre après celle-là ! ajouta-t-il.

Il se tourna vers Dewar :

— Cela devrait le tenir tranquille un certain temps, bon sang de bois !

La nuit s’étendait de l’autre bord de horizon comme un grand manteau. Les crêtes elles-mêmes semblaient rapetisser, les hommes se transformaient en ombres, la mer semblait perdre de son air menaçant. Mais les détonations n’avaient pas cessé : un coup bref, sec, du canon du brick, suivi par le grondement rageur d’une artillerie plus lourde.

Le capitaine de vaisseau Dewar prit le verre de cognac que lui tendait son garçon pendant que l’amiral en faisait autant.

— Je ne sais pas qui c’est, amiral, mais c’est un brave.

Herrick sentit le cognac lui piquer les lèvres, des lèvres gercées par le sel. Il avait connaissance de la présence de quelques bricks dans les parages, mais, au fond de lui-même, il devinait lequel d’entre eux avait oublié toute prudence afin de le prévenir. Il répondit lentement :

— J’ai l’intention d’attaquer à l’aube.

Dewar hocha la tête en se demandant pourquoi Herrick venait de s’exprimer ainsi. À présent, il connaissait son amiral et il n’avait jamais douté qu’il attaquerait.

 

Bolitho baissa la tête et s’arrêta entre deux barrots. L’entrepont, le royaume des fanaux qui parcouraient des cercles et des ombres qui glissaient. Lorsqu’on venait du pont supérieur, vaste, ouvert, l’endroit paraissait tout sauf désert. L’assistant du chirurgien et ses aides dans leurs grands tabliers se tenaient autour de la table de fabrication maison où Tuson allait accomplir sa sinistre besogne. Les bailles fraîchement nettoyées destinées à recueillir bras et jambes étaient là pour rappeler ce qui se passait ici lorsque la bataille commençait.

Carcaud vérifiait une rangée d’instruments qui semblaient briller comme des lampes à la lueur des fanaux. Et lui aussi évitait son regard, comme la plupart de ceux que Bolitho avait croisés en se promenant inlassablement à bord de son vaisseau amiral. On aurait dit qu’ils lui faisaient une confiance moins entière lorsqu’il était parmi eux que lorsqu’il se tenait sur la dunette au milieu de ses officiers.

Bolitho s’arrêta à la porte de l’infirmerie et attendit que Tuson levât la tête de ses préparatifs. On sentait des odeurs de pansements, d’hygiène particulièrement soignée. Le seul autre occupant des lieux regardait Bolitho depuis la couchette où il était allongé. L’aspirant Estridge n’était pas entièrement sorti d’affaire avec sa jambe ; Tuson lui faisait rembobiner des bandes alors qu’il était encore allongé sur le dos.

Bolitho lui fit un petit signe puis dit au chirurgien :

— Il fera jour dans une heure.

Tuson le regarda sans broncher.

— Comment va votre œil, amiral ?

Bolitho haussa les épaules :

— Cela a été pire.

Il ne pouvait s’empêcher de manifester cet étrange sentiment d’indifférence face au danger, face à la mort elle-même. Il avait pourtant arpenté tous les ponts, il s’était assuré de n’oublier personne. Et il s’était imaginé qu’ici, au moins, un endroit qu’il avait toujours redouté par-dessus tout, il ressentirait quelque inquiétude. Non, il n’éprouvait qu’un certain soulagement. Il était arrivé à un état de détachement qu’il n’avait encore jamais connu. Il se résignait peut-être, alors, pourquoi aggraver encore les choses en se faisant davantage de souci ?

Tuson lui montra des yeux le plafond, qui effleurait presque ses cheveux blancs :

— Le bâtiment résonne de tas de bruits.

Bolitho savait ce que cela voulait dire. En temps normal, on identifiait facilement le mouvement général des hommes, les activités du bord, les heures de repas et les heures de travail.

Mais maintenant, aux postes de combat, tout avait été dégagé, les bruits se situaient tous plus haut, se concentraient autour des canons qui reposaient derrière les mantelets fermés. Les servants étaient agglomérés autour de leurs pièces, essayant ou faisant semblant de dormir. Bientôt, ces mêmes canons allaient se transformer en masses de métal rougi et personne n’oserait les toucher à mains nues.

Ici, les bruits de la mer et du vent étaient assourdis : frottement de l’eau contre la coque, de temps à autre le claquement d’une pompe tandis que les hommes inaptes au combat sondaient périodiquement dans les puisards. L’ambiance était étrange et inquiétante, à vous donner le frisson. Ils étaient sans doute tout proches de l’ennemi et pourtant, avec la tombée de la nuit, les tirs avaient cessé dans le lointain. Comme s’ils étaient seuls.

Tuson l’observait. Il avait déjà remarqué que Bolitho s’était changé et avait mis une chemise propre amidonnée et une cravate. Sa vareuse d’uniforme portait les épaulettes dorées aux deux étoiles d’argent. Cela le fit réfléchir. Bolitho était-il détaché de tout ? Avait-il le désir de mourir ? Ou bien était-ce plutôt qu’il se faisait trop de souci, si bien qu’il ne se préoccupait plus de sa propre sécurité ? Il était tête nue, ses cheveux noirs luisaient à la lueur dansante des fanaux. Seule sa mèche rebelle commençait à grisonner, celle dont Tuson savait mieux que d’autres ce qu’elle cachait, une horrible cicatrice. Le mélange était bizarre. Il mettrait sa coiffure et ceindrait son sabre pour remonter sur le pont.

Tuson n’y avait jamais assisté, mais la cérémonie muette était devenue légendaire au sein de l’escadre, pour ne pas dire de la flotte. Allday et son sabre étaient aussi célèbres qu’un évêque avec sa mitre. Il reprit :

— J’ai fait transporter le commandant Inch à l’avant, amiral. L’endroit est moins confortable… – rapide coup d’œil par-delà la portière sur la table nue et les instruments qui y étaient posés, et sur les hommes de son équipe veillant comme des nécrophages, les uns debout, les autres assis – … mais je pense qu’il y sera mieux.

Le pantalon blanc d’un aspirant apparut dans la descente et, après une brève hésitation, le jeune homme commença :

— Le commandant vous présente ses respects, amiral, et…

Bolitho hocha la tête. C’était le jeune Hickling qui, à son insu, l’avait aidé à faire passer en contrebande la jeune fille à bord du paquebot de Malte.

— Je suis prêt, merci.

Il se tourna vers Tuson et lui lança un dernier regard dans lequel le chirurgien ne réussit à décrypter ni faiblesse ni blessure secrète.

— Prenez bien soin des gens.

Tuson le regarda s’en aller.

— Et vous, prenez bien soin de vous, murmura-t-il.

Bolitho, avec le jeune Hickling sur les talons, grimpa toutes les échelles l’une après l’autre et arriva enfin sur la dunette.

Il faisait encore très sombre, seuls quelques moutons blancs le long du bord permettaient de distinguer la mer du ciel. Mais les étoiles commençaient à pâlir et l’air prenait son odeur particulière du matin, avec ses remugles et son humidité.

Keen l’attendait près de la lisse.

— Le vent se calme, amiral, mais il est encore assez fort pour leur laisser deviner ce qui se passe.

Il avait l’air soulagé de voir que Hickling l’avait retrouvé. Il n’avait encore jamais vu Bolitho faire tout seul le tour du bord. Il n’avait même pas emmené Allday, comme s’il avait envie de sentir l’humeur de chacun des hommes qui servaient sous sa marque.

Allday fixa son sabre et Ozzard lui tendit sa coiffure avant d’aller se réfugier dans la cale où il resterait jusqu’à la décision finale, que ce fût victoire ou défaite.

Bolitho aperçut le tas de pavillons posés sur le pont, il arrivait à distinguer les mouvements de l’aspirant des signaux et de ses aides. Stayt était présent lui aussi, et Bolitho devina qu’il avait pris le temps de nettoyer et de charger ses beaux petits pistolets.

— Il ne reste plus qu’à attendre, Val.

Il se demandait si les autres bâtiments suivaient, si Le Rapide et le Barracuda étaient bien à leurs postes. La nuit avait dû être longue pour la plupart d’entre eux. Il se souvenait de la bataille des Saintes, à l’époque où il commandait sa première frégate. Les deux flottes avaient mis une éternité pour se rapprocher suffisamment et engager le combat. Toute la journée, ou c’était du moins leur impression, ils avaient assisté au spectacle terrifiant des mâts français qui montaient au-dessus de l’horizon. Comme des chevaliers sur le champ de bataille. La suite avait été atroce et terrible. Mais ils avaient remporté cette bataille-là, à défaut de gagner la guerre.

Keen se tenait près de lui et se préparait en silence, fouillant dans sa tête pour chercher ce qu’il aurait encore pu oublier. Les tirs sporadiques indiquaient clairement que le convoi se trouvait quelque part sur leur avant et qu’il était attaqué. Il jeta une seule fois un coup d’œil à Bolitho, pour tenter de voir s’il affichait sa surprise ou sa satisfaction d’avoir eu raison, d’avoir retrouvé l’ennemi, quand tout honnête homme aurait douté de sa raison en le voyant se décider sur la seule foi des renseignements rapportés par Le Rapide. Pourtant, même dans la pénombre, il lisait sur son visage plus de calme détermination qu’une quelconque trace de soulagement.

Et ils allaient combattre. Au bruit, les bâtiments n’étaient pas très nombreux. Keen revoyait l’image de la jeune fille, il avait envie de prononcer son nom à haute voix, fût-ce pour se rassurer lui-même. Il suffit d’une seconde pour mourir. La justice de sa cause et la victoire ne comptent pas pour celui aux oreilles de qui vont rugir les canons pour la dernière fois.

Il imaginait aussi Inch dans l’entrepont, qui allait entendre le fracas du combat, mais impuissant et loin de ses amis. Keen était passé le voir en quittant la dunette pour aller parler à ceux de ses officiers qui avaient leurs postes dans l’entrepont. Inch était très faible, sa double amputation le faisait énormément souffrir. Il sentit une sueur froide dégouliner le long de sa colonne vertébrale. Il avait déjà été blessé et se ressentait encore parfois de sa blessure. Mais être allongé là, sur cette table, avec vos hommes autour de vous qui vous regardent et qui souffrent en attendant leur tour, qui peut bien le supporter ? Le tranchant du bistouri puis la torture atroce de la scie, la courroie de cuir que l’on mord pour étouffer les cris. Il se souvenait de ce qu’il avait dit à Zénoria : c’est ce que l’on m’a appris à faire. Mais cette déclaration prenait maintenant une signification dérisoire.

Luke Fallowfield, leur maître pilote, frappa l’une contre l’autre ses mains rougeaudes et le claquement fit sursauter plusieurs des hommes qui se trouvaient là. Nous sommes tous à bout, se dit Keen. Peser nos chances ne sert plus à grand-chose, ce n’est que pure spéculation.

Bolitho regardait les premières lueurs de l’aube qui se levait par le travers, pâle clarté sur l’horizon. Combien la regarderaient se lever, pesant leurs chances, celles qui feraient la différence entre vivre et mourir !

Keen s’approcha du compas et se pencha pour voir de plus près à la lueur de la mèche tremblotante.

— Serrez davantage le vent, monsieur Fallowfield. Venez deux quarts de mieux sur la droite.

Les hommes se mouvaient comme des ombres dans l’obscurité, Bolitho remerciait le ciel d’avoir Keen pour capitaine de pavillon. S’ils partaient trop à l’est, ils n’auraient jamais le temps de revenir pour retrouver le convoi. Il serra les poings, les appliqua contre ses cuisses. Ils avaient besoin de lumière et beaucoup tremblaient déjà pourtant avec le peu qu’ils voyaient.

Il porta la main à sa paupière gauche, il mourait d’envie de se frotter l’œil. Mais il se souvint des avertissements de Tuson. Peu importait, ils ne comptaient plus en ce jour.

Le timonier annonça :

— En route au sud-quart-suroît, commandant !

Bolitho entendit le grand hunier faseyer. Comme à contrecœur, l’Argonaute serrait le vent, vergues brassées presque dans l’axe.

Bientôt, bientôt. Il sursauta en se disant qu’il avait dû parler tout haut. Keen disait à Paget d’envoyer des vigies de renfort en haut, dont une avec une lunette. Levant les yeux, il aperçut les baudriers blancs des fusiliers perchés dans les hunes, un homme qui s’étirait avec un bâillement. Hélas, ce n’était pas de fatigue ! se dit-il. C’était fréquemment le signe avant-coureur de la peur.

Etrangeté du calendrier, songeait-il : rien n’empêchait qu’il mourût en ce jour et que la nouvelle n’arrivât que l’année suivante à Falmouth. Ce serait Noël dans la grande demeure grise sous le château de Pendennis, avec les chanteurs venus de la ville pour les accueillir et faire la joie de la petite Elizabeth.

Mais il put endiguer ses pensées vagabondes :

— Hissez les couleurs au mât de misaine, je vous prie, ordonna-t-il.

Dans un grincement, sa marque descendit pour être remplacée quelques secondes plus tard par le plus grand pavillon disponible. Il était encore caché dans l’obscurité, mais, lorsque le soleil se lèverait, Jobert le verrait. Il se sentait étrangement calme, sans nulle inquiétude.

L’ombre de Paget apparut à la lisse.

— Couleurs hissées, sir Richard.

Bolitho acquiesça. Paget était apparemment dans le même état d’esprit que lui : concentré sur ce qu’il faisait, pressé de mettre fin à cette attente.

— Ohé, du pont ! Voile devant, sous le vent !

— Bien joué, Val, lui dit Bolitho. Nous sommes exactement là où il fallait !

Un coup de canon roula en écho sur l’eau, un seul coup, et Bolitho crut même apercevoir l’éclair du départ. Une autre de leurs vigies s’écria :

— Convoi droit devant !

— Faites un signal général.

Bolitho commença à arpenter le pont en se grattant le menton. Mais un nouvel appel de la vigie lui fit lever la tête :

— Deux bâtiments de ligne droit devant, à notre vent !

— Voilà, ils sont là, Val, dit Bolitho. Deux de nos diables – et, se tournant vers Stayt : Signalez à l’escadre : « Ennemi en vue ! », ordonna-t-il.

En se retournant du bord sous le vent, il aperçut l’horizon, rose saumon, comme un pont infini.

Le grand pavillon claquait au vent au-dessus des vergues d’avant, imposant et brillant de toutes ses couleurs, isolé du bâtiment qui restait encore momentanément noyé dans l’ombre.

— Chasse générale, amiral ? demanda Stayt.

Bolitho ouvrit la bouche, puis la referma. Deux bâtiments de ligne. Ce n’était pas leur nombre qui le troublait, c’était leur relèvement. Cela ne collait pas avec le reste. Son instinct l’alertait une fois de plus.

— Non, signalez à l’escadre de conserver la formation.

Il ne se retourna même pas lorsque le grondement du canon reprit loin au-delà des moutons blancs.

Quelques fusiliers installés dans la hune de misaine regardaient le pavillon qui flottait au-dessus d’eux et poussaient des cris d’enthousiasme qui parvenaient à dominer le fracas du vent et des voiles.

Bolitho, sans s’en rendre compte, faisait jouer son sabre dans son fourreau. Ils allaient se battre, toute rancune, toute souffrance, allait être oubliée. Car c’est ainsi qu’ils étaient faits. Un nouveau coup de canon éclata, mais il venait cette fois-ci de l’arrière de l’escadre.

— Bon sang, qui a fait ça ? s’exclama Keen.

— C’est l’Icare, commandant, répondit Stayt.

Et il commença à grimper dans les enfléchures. Les premières lueurs effleuraient les mâts et les vergues des deux vaisseaux qui les suivaient dans le sillage.

— De l’Icare, commandant. « Ennemi en vue dans le nordet ! »

Keen en restait pantois :

— Je n’arrive pas à y croire !

Bolitho s’approcha de la lisse et s’y accrocha fermement. Elle était froide et humide, cela n’allait pas durer.

— Informez le Barracuda et Le Rapide.

Les timoniers, qui commençaient à s’essouffler, faisaient monter de nouvelles volées de pavillons. Bolitho se dirigea vers les enfléchures, où Stayt se tenait, accroché d’un bras et calant sa lunette de l’autre.

— « Trois vaisseaux de ligne, amiral » – il remuait les lèvres au fur et à mesure qu’il décodait les signaux. « Et deux autres bâtiments. »

Bolitho encaissa le coup, mais il voyait déjà son escadre prise entre les deux groupes de bâtiments qui convergeaient sur eux. Ils étaient dans la gibecière du braconnier.

Les deux bâtiments qu’ils avaient aperçus les premiers avaient dû se trouver là par pure coïncidence. Ou bien quelqu’un autre les avait envoyés en cachette. Mais Jobert était bien là, ce qui modifiait complètement l’équilibre des forces. Cinq contre trois, et l’un des cinq était le puissant trois-ponts de Jobert. Les deux autres, bien que non identifiés, étaient probablement des frégates. Le risque était énorme, et il n’avait de toute manière plus le choix. Il regarda le soleil qui émergeait de la mer, peignant les voiles, amies ou ennemies, de couleurs dorées.

Il prit une lunette et l’appuya sur les filets de hamac, attendant le moment où l’Argonaute plongerait son flanc dans un creux. Il aperçut enfin le convoi, très regroupé, et sentit son cœur se serrer en reconnaissant la silhouette familière et les mâts en dents de râteau du Benbow. Il avait ouvert ses sabords, et l’on distinguait les formes noires des pièces.

Une série d’éclairs jaillit aux flancs des deux français ; les coups ricochèrent sur l’eau en soulevant de petites gerbes rapidement dispersées par le vent encore vif.

L’escadre de Jobert était sans doute descendue aussi rapidement que possible le long des côtes de Sardaigne, mais en suivant le littoral opposé, pendant que lui-même était occupé avec l’Hélicon et ses blessés. Maintenant, comme deux routes tracées sur la carte, leurs chemins allaient se croiser. Les vaisseaux de Jobert se trouvaient par bâbord et on ne les voyait pas encore de la dunette. Les deux autres arrivaient par tribord en route convergente et tiraient sur le Benbow tout en progressant. Boulets à chaînes, boulets rainés pour le démâter ou au moins l’endommager sérieusement. Jobert arriverait pour finir la besogne. Les tirs redoublaient, et Bolitho changea de ligne de visée pour observer la frégate légère qui était apparue à proximité des deux soixante-quatorze. C’était sans doute l’autre bâtiment d’escorte de Herrick, peut-être même celui qui était monté à la rencontre de l’ennemi et avait ainsi déjoué son attaque surprise. Elle était désemparée, presque totalement démâtée. Elle avait dû essayer de harceler l’ennemi sur ses arrières, comme un terrier qui s’attaque à un ours, mais elle s’était trop approchée de leurs pièces de retraite.

Un fusilier se mit à crier :

— Les gars, y en a un autre !

Bolitho distingua alors un second jeu de voiles ; elles s’enflaient puis se réduisaient à mesure qu’on distinguait mieux un brick, tout proche de la frégate avariée.

C’était impossible, la seule chose encore susceptible de lui faire perdre la raison. C’était le brick d’Adam, la Luciole, qui tirait rageusement de ses modestes quatre-livres, mais sans pouvoir s’opposer sérieusement à la progression de l’ennemi.

Le Benbow changeait d’amures, le soleil faisait luire les rangées de gueules sombres, il venait droit sur l’ennemi. Bolitho vit la double enfilade de canons cracher de longues flammes orange. La fumée revenait en volutes sur le bâtiment, comme s’il avait pris feu.

— Préparez-vous à engager l’escadre de Jobert, ordonna sèchement Bolitho.

Herrick devrait se défendre seul ; les précieuses cargaisons d’or pouvaient attendre.

Keen mit ses mains en porte-voix :

— Paré à virer, monsieur Paget ! Venir bâbord amures.

Il se précipita sur le compas tandis que ses hommes se ruaient aux drisses et aux bras.

— Nous viendrons route au nordet, monsieur Fallowfield.

Ils étaient encore en train de virer lorsque le premier signal, général, monta aux vergues : « Se former en ligne de bataille ! »

Le pont prenait de la gîte, sous l’action combinée du safran et des vergues brassées serré. Bolitho examina le premier vaisseau qui apparaissait, suivi bientôt par le reste de l’escadre de Jobert.

— En route au nordet !

Nous avons l’avantage du vent, se disait Bolitho, mais pas pour longtemps. Ce serait chacun pour soi.

Les tirs redoublaient du côté du convoi, mais Bolitho n’y prêtait pas attention. Il jeta un rapide coup d’œil à la Dépêche qui virait à son tour dans les eaux de l’amiral. Elle était en train de régler ses perroquets et même sa grand-voile pour garder son poste. L’Icare restait caché sur son arrière, mais les commandants savaient ce qui était en jeu, et il y avait ces deux frégates prêtes à fondre si l’un des gros bâtiments était désemparé.

— Signalez au Barracuda d’engager l’ennemi.

Keen se tourna vers lui, il sentait un muscle battre nerveusement dans sa gorge. Une nouvelle bordée se réverbéra contre la coque comme le tonnerre qui gronde dans le lointain. Bolitho saisit son regard :

— Lapish doit faire tout son possible.

Voir un deux-ponts foncer soudain toute la toile dessus et se précipiter pour entrer en lice pouvait désarçonner l’ennemi. Si Lapish tirait parti de l’effet de surprise, il pouvait même faire tomber quelques espars, à moins que… Bolitho décida de ne pas penser au risque terrible qu’il lui faisait courir.

Il entendit Allday qui parlait à voix basse, mais d’un ton ferme, à Bankart. Le jeune homme finit par hocher la tête. Sa détermination avait quelque chose de pathétique. Les canons recommençaient à gronder, mais Bankart tenait bon. Quoi qu’il pût lui en coûter, ce qu’il craignait maintenant le plus, c’était de laisser paraître qu’il avait peur.

Bolitho leva sa lunette et la pointa à travers les manœuvres sombres. Quelques silhouettes connues passèrent dans l’objectif, puis ce fut l’ennemi. Il était là, avec son léopard plus vrai que nature au soleil et la marque de contre-amiral qui flottait à l’artimon.

Keen, qui tapotait nerveusement sur la garde de son sabre, vint le rejoindre. Bolitho lui dit :

— Il faut absolument que nous l’arrêtions, Val Keen le fixait intensément. Jobert est prêt à sacrifier jusqu’au dernier de ses vaisseaux et de ses hommes pour s’emparer de cet or.

Keen hocha la tête, il était encore tourneboulé par le changement brutal du cours des événements. Pour commencer, il ne s’était soucié que d’arriver à temps, sans se préoccuper du danger. Désormais, il s’agissait tout bonnement de tenter de survivre. Il observait Bolitho qui, masquant son œil gauche, avait posé sa lunette sur l’épaule d’un marin afin d’y voir plus clair. Ce spectacle le calma un peu, il se sentait capable d’affronter ce qui allait arriver. Mais, pour commencer…

Bolitho laissa retomber sa lunette.

— Chargez et mettez en batterie – puis, se tournant vers Stayt : Faites hisser le signal : « Paré à l’abordage ! ».

Il tendit sa lunette au jeune assistant de Sheaffe en lui disant :

— Je crois que je n’en aurai plus besoin.

Et, s’isolant des autres, il resta là à contempler la mer bleue, inonde sans fin constellé de moutons.

L’ambiance était sans doute la même par toute l’escadre. Des courageux qui avaient peur de mourir, des poltrons qui avaient peur de vivre. Tous suivraient sa marque, où qu’il les menât. Il revoyait leurs visages : Montresor, Houston, Lapish, le jeune Quarrell qui cajolait ses deux énormes pièces. Et Adam. Il était revenu, c’était son premier commandement, et il était dans sa vingt-troisième année. Ou bien peut-être, tout comme Inch, avait-il déjà payé le prix de son courage insolent.

Il leva les yeux, le signal de combat à l’abordage montait à la vergue. Il se souvint de cette autre occasion au cours de laquelle des hommes et des jeunes gens comme ceux-ci étaient morts pour le maintenir hissé à bloc. Il tourna son regard vers le grand pavillon qui flottait en tête du mât de misaine. Les canons tiraient toujours du côté du convoi, mais, à sa grande surprise, il ne ressentait plus ni haine ni amertume.

C’étaient là des luxes réservés aux vivants.

 

Flamme au vent
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